29.04.2023 - FOR AN INDEFINITE PERIOD
ANN VERONICA JANSSENS
PATRICK CARPENTIER
MAXIME FAUCONNIER

EN

"Crowding, like a fluttering bird, one sentence crosses the empty space between us."
The Waves, Virginia Woolf


One of the founding concepts behind Virginia Woolf’s unique novel entitled The Waves is undoubtedly that different planes of one conjoined consciousness can shed light on a perceived continuity. The book is a space where six figures seek to affirm their inner selves through physical and emotional experiences. It is where existences intersect.

CCINQ has moved, expanded, and changed its approach and modus operandi to allow new phenomena to emerge.

The idea of putting this singular Woolf novel at the centre of CCINQ's curatorial project for an indefinite period of time came about when I discovered Maxime Fauconnier's work The Waves, to which I will return later. This is an attempt to escape the traditional novelistic narrative, to abandon the main character, to dismantle any activity that exists solely in order to produce a result
Virginia Woolf's novel challenges the traditional rules of storytelling. Freed from meaning, language is empowered and takes on a different purpose. Light, elegant, timeless, recognisable, lost and found, all at once.

This new space hopes to free itself from setting up exhibitions that would then be taken down, only to be followed by the building up of another. A process of continuous movement, a journey to an experimental destination is preferred here. Meditation progressing without a determined path, energy prevailing over an idea. An ongoing quest rather than an exhibition set as an end in itself.

There is a mutual concern between Maxime Fauconnier and Ann Veronica Janssens: theirs is a commitment to a pure, almost naïve and undeclared poetic bond, made up of both rigour and precision. For both artists, poetry is a matter of honesty

Maxime Fauconnier's vision is more complex than it seems. He works using a kind of functionalism or classification, which acts for him as an essential interface when confronted with the rough and constant flux of reality. The Waves (colors)—three typewritten sheets of plainly framed A4 paper—contains the 675 instances of colours cited by Woolf in her novel of no more than 200 pages. The radical cut-up (a recurrent feature of the artist's practice) creates here a new and incredibly powerful text. Maxime Fauconnier collects these words and hands them over to us. Our understanding of their importance is instantaneous, we feel it before we even read them. Their presence is physical.

As with Woolf's novel, Janssens' work lies in the realm of nature. Nature is undeniably present. When talking about her work, light is inevitably called to mind, because of course, light is nature.

But there is something more fundamental at the base of her pursuit: space, and more precisely, the relationship between space and how we experience time. Untitled (blue glitter) sees space and the direction of time united. This work consists of shimmering glitter flakes thrown energetically in one direction. When asked who should throw the glitter, the artist replied, "It doesn't matter, as long as it's someone strong!"

This resolute gesture turns space into movement by means of detonation and scattering. The very nature of the ground's surface is changed and we have no choice but to accept an elusive perception of it. Nearing this installation feels intimidating to one's muscles and alters one's movement. Could it be that Ann Veronica Janssens is not so much an artist of light and perception, but an artist who brings us into the realm of time?

On April 18, 2023, a young peregrine falcon was born in the north tower of the Saint Michael and Gudula Cathedral, opposite CCINQ's new space. For several years now, at the initiative of ornithologist Didier Van Geluwe, two cameras have been placed near the falcons' nests to observe their annual hatching. The "live stream" at CCINQ physically situates the new space within its urban environment and also echoes one of Virginia Woolf's many obsessions, birds. She saw birds as "subconsciously present, performing their hidden tasks...".

The only light in the space is a suspended neon which takes on the same shape as the guidance system used by peregrine falcons to intercept their prey. This is a copy of one of many possible trajectories studied by a team of scientists at Stanford University. One particular journey across space among many other options.

In the ancient world, an augur would take their stick and trace a square or templum in the sky, and would then repeat the gesture on the ground. This was the sacred perimeter from wherein they could ascertain the will of the gods by interpreting the direction of birds flying across the delimited space. This frame is an ancestor to the outlines of paintings, whether sacred or secular. A movement within a defined frame, bound to a spatial finitude.

Patrick Carpentier
Miguel Rózpide - Exhibition photography

FR

"Dense comme un oiseau qui bat des ailes, une phrase traverse l’espace vide entre nous."
Les vagues, Virginia Woolf


Des facettes d’une même conscience illuminant le sens de la continuité, voici sans doute, une des idées fondatrices de ce roman si particulier qu’est The Waves (Les vagues) de Virginia Woolf.
C’est un terrain où six personnages cherchent une confirmation de leur intériorité à travers des expériences physiques, ressenties. Un lieu d’existences traversantes.

CCINQ déménage, s’agrandit et change de paradigme, de modus operandi pour s’autoriser à laisser émerger des faits nouveaux.

C’est en découvrant l'œuvre de Maxime Fauconnier, The Waves, j’y reviendrai plus loin, qu’est venue l’idée de mettre au centre du projet curatorial de CCINQ, ce singulier roman de Woolf et cela pour une durée indéterminée.
Pour tenter d’échapper à la narration romanesque traditionnelle, oublier le personnage, déconstruire l’activité en vue d’un résultat.
Ce roman de Virginia Woolf remet en cause les principes traditionnels de narration. Libérée du sens, la parole s’assume et prend un sens autre. Léger, élégant, intemporel, reconnaissable, perdu et trouvé à la fois.

Ce nouveau lieu souhaite s’affranchir du montage d’une exposition qui serait démontée pour faire suite au montage d’une autre exposition. Ici sera préférée une forme en mouvement continu, une route vers un site expérimental. Une réflexion cheminant sans détermination, une énergie préférée à une idée. Une recherche continuelle plutôt qu’une exposition nommée comme une finalité.

Il y a une réciprocité d’exigence entre Maxime Fauconnier et Ann Veronica Janssens, une exigence faisant sienne un attachement poétique pur, presque naïf, non déclaré, à la fois fait de rigueur et de précision. Pour les deux artistes, la poésie est histoire d’honnêteté.

Le discours de Maxime Fauconnier est plus complexe qu’il n’y paraît. C’est une forme de fonctionnalisme, une classification, passerelle indispensable face à la rugosité et le flux constant de la réalité.
The Waves (colors), 3 feuillets dactylographiés sur papier A4 et encadrés sobrement, contenant les 675 noms de couleurs cités par Woolf dans son roman d’à peine 200 pages. Un cut-up radical récurrent dans la pratique de l’artiste, crée ici un texte nouveau d’une incroyable force. Maxime Fauconnier reçoit ces mots, nous les transmet et nous comprenons instantanément leur portée, nous la ressentons avant même la lecture. Il y a une immédiateté charnelle.

Comme dans le roman de Woolf, avec Janssens il y a quelque chose de la nature. C’est là, indéniablement. Quand on évoque son travail la lumière est immanquablement citée, bien évidemment, la lumière c’est la nature.

Mais il y a quelque chose de plus intrinsèque dans sa recherche : l’espace, plus précisément, l’espace et une façon d’habiter le temps.

Avec Untitled (blue glitter) l’espace et la direction du temps, sont unis. Cette œuvre se compose de paillettes iridescentes lancées vigoureusement dans une direction. À la question, Mais qui va lancer ces paillettes? l’artiste répond, « Peu importe du moment que ce soit quelqu’un qui a de la force ! ».

Avec ce geste déterminé, l’espace devient mouvement par diffraction et déflagration. La nature même de la surface du sol est modifiée et nous n’avons pas d’autre choix qu’accepter une perception qui nous échappe. S’approcher de cette installation intimide nos muscles et modifie notre dynamique. Se pourrait-il que Ann Veronica Janssens ne soit pas tant une artiste de la lumière et de la perception, mais une artiste qui nous fait habiter le temps ?

Le 18 avril 2023 dans la tour nord de la cathédrale Saint Michel et Gudule, située face au nouvel espace CCINQ est né un jeune faucon pèlerin. Depuis quelques années et à l’initiative de l’ornithologue Didier Van Geluwe, deux caméras ont été placées près du nid des faucons afin d’observer leur couvaison annuelle. Avec ce « live streaming » diffusé à CCINQ qui situe de manière physique le nouvel espace dans son environnement urbain, je souhaitais aussi faire écho à une des nombreuses obsessions de Virginia Woolf que sont les oiseaux. Elle y voit la présence des oiseaux comme « subconsciemment présents, accomplissant leur tâche souterraine… ».

Le néon suspendu, unique éclairage du lieu, reprend par sa forme le schéma de guidage utilisé par le faucon pèlerin pour l’interception d’une proie. C’est une des possibles courbes parmi de nombreuses étudiées par une équipes de scientifiques de la Stanford University . Une traversée singulière de l’espace parmi tant d’autres options.

Dans l’Antiquité, l’augure, prenait son bâton, et traçait dans le ciel et, plus tard, sur le sol, le templum, c'est-à-dire le périmètre sacré à l'intérieur duquel il entrait en relation avec la volonté des dieux en interprétant le vol des oiseaux traversant cet espace. Ce cadre préfigurait la délimitation d’une œuvre picturale qu’elle soit sacrée ou profane. Un mouvement dans un cadre défini, attaché à une finitude spatiale.


Patrick Carpentier
Miguel Rózpide Photographies des expositions