25.04.2019 - 01.06.2019
EVA CLAUS
JEAN-BAPTISTE BERNADET

EN

Aussi depuis le déjeuner mes regards anxieux ne quittaient plus le ciel incertain et nuageux. Il restait sombre. Devant la fenêtre, le balcon était gris. Tout d’un coup, sur sa pierre maussade je ne voyais pas une couleur moins terne, mais je sentais comme un effort vers une couleur moins terne, la pulsation d’un rayon hésitant qui voudrait libérer sa lumière. Un instant après, le balcon était pâle et réfléchissant comme une eau matinale, et mille reflets de la ferronnerie de son treillage étaient venus s’y poser. Un souffle de vent les dispersait, la pierre s’était de nouveau assombrie […]
À l’ombre des jeunes filles en fleurs, Marcel Proust


VARIATIONS

According to Louis Dufour, the weather is alluded to more than eighty times by Proust in À la recherche du temps perdu (Remembrance of Things Past). Meteorology — the changes and nuances of atmosphere — proved to be a great source of both aesthetic impressions and psychological support within this novel dedicated to memory and time.

The current exhibition at C5 addresses how variations of time can be traced and captured. The two works presented by Jean-Baptiste Bernadet and Eva Claus reveal a reality that only makes sense through the experience of seeing, be that literally or figuratively.

Eva Claus shot Hierro in 2006. Spending thirty days on an island in the middle of the Atlantic, she filmed the waves, the sky, the fog, the drizzle, the sun, the skyline, a submerged rock, and the absence of human beings.
Our gaze slowly dissolves into colours and patterns, and with each shot a moment spent facing the sea is commemorated. The crisp air at nightfall and the soft morning rays are tangible. This is a study of captured time. An absolute and elegant fluttering. A universal calm.

The film is reflected and abstracted in the surface of Jean-Baptiste Bernadet’s Untitled (Pool - 6 elements), 2017. In order to obtain a dark, dense surface, the artist enamelled and repeatedly fired the basalt slabs up to five times. They lay here horizontally, burdened by their weight, and as heavy as the stormiest of skies might be. These obscure elements placed on the ground resemble basins or reservoirs reflecting the surrounding space in tones of black, blue, purple, and carmine.
The sculptures are puddles of water where the circumstances (lat. circum stare: "stand around, surround") and atmospheric phenomena of Eva Claus' film are echoed. Each of these plaques becomes a place where the beauty of nature is distorted and blurred with each resonance. "A certain transparency" where dark colours merge, meld and intertwine.
In order to analyse its essence in greater depth, the idea of a “moment” is fragmented here by a shifting observation, the transformation of images, and constant questioning. This collision of these two works generates an array of selected variations: a fragile crystallization of the ephemeral.


Patrick Carpentier

FR

Aussi depuis le déjeuner mes regards anxieux ne quittaient plus le ciel incertain et nuageux. Il restait sombre. Devant la fenêtre, le balcon était gris. Tout d’un coup, sur sa pierre maussade je ne voyais pas une couleur moins terne, mais je sentais comme un effort vers une couleur moins terne, la pulsation d’un rayon hésitant qui voudrait libérer sa lumière. Un instant après, le balcon était pâle et réfléchissant comme une eau matinale, et mille reflets de la ferronnerie de son treillage étaient venus s’y poser. Un souffle de vent les dispersait, la pierre s’était de nouveau assombrie […]
À l’ombre des jeunes filles en fleurs, Marcel Proust


VARIATIONS

Selon Louis Dufour, il est plus de quatre-vingts fois question du temps qu’il fait dans À la recherche du temps perdu. Pour Proust la météorologie, les changements et les nuances de l’atmosphère, sont une source d'impressions esthétiques, d'accompagnement psychologique dans une oeuvre sur la mémoire et le temps.

Dans cette exposition à C5, il est question de capturer les variations des temps. Impressionnistes, les deux oeuvres présentées par Bernadet et Claus, nous donnent une réalité qui n'a de sens qu'à travers sa perception, réelle ou imaginaire.

En 2016, Eva Claus réalise Hierro. Durant 30 jours, sur une île au coeur de l’Atlantique elle filme les vagues, le ciel, le brouillard, la bruine, le soleil, une ligne d’horizon, un rocher submergé et l’absence d’êtres humains.
Chaque plan est le souvenir d’un moment passé face à la mer où le regard fixe se perd dans les couleurs et les motifs. On y sent la fraîcheur du soir qui tombe et la douceur des rayons du matin. Une exploration des instants retenu. Un flottement absolu et élégant. Un calme universel.

Mais ici, confinant à l’abstrait, le film se reflète dans Untitled (Pool I-VI) sculptures réalisées en 2017 par Jean-Baptiste Bernadet. Ces pierres de lave ont été émaillées, cuites et recuites jusqu’à cinq fois, afin d’obtenir une surface dense. Plans faits de matériaux lourds, pesants comme pourrait l’être un ciel orageux. Noir, bleu, violet, carmin, ces éléments nébuleux posés au sol sont des bassins, des retenues miroitant l’espace.
Flaques d’eau où se répercutent les circonstances (lat. circum stare : « se tenir debout aux alentours ») et les phénomènes atmosphériques du film d’Eva Claus.
Chacune de ces plaques devient un lieu où la beauté de la nature résonne déformée, brouillée. « Une sorte de transparence » où les couleurs obscures plongent, s’additionnent et s’entremêlent.
Par l’observation en mouvement, par cette transformation de l’image, cette remise en question, l’instant est ici fragmenté pour en analyser plus en profondeur les répercussions. Ce face-à-face est un jeu de variations choisies, une cristallisation fragile de l’éphémère.


Patrick Carpentier